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Alexander  DESCHAPELLES

Alexandre Louis Honoré Lebreton Deschapelles, francese, nato il 7 marzo del 1780 a Ville d'Avray e deceduto a Parigi il 27 ottobre del 1847, è  universalmente riconosciuto come il più forte giocatore di Whist di ogni tempo.

Le Café de la Regence

 Allievo della scuola militare di Brienne, a 14 anni entrò nell'armata di Sambre-et-Meuse e nella battaglia di Fleurus perse la mano destra. Fatto prigioniero a Baylen dagli inglesi, riuscì a evadere e rientrato in patria, dopo un breve periodo in cui fu impiegato nel Monopolio dei Tabacchi del suo Paese si dedicò agli scacchi primeggiando nel famoso Café de la Régence.

 Tra il 1800 ed il 1824 rimase imbattuto e fu considerato a tutti gli effetti Campione del Mondo fin quando, un suo allievo:  Luis Charles Mahé de la Bourdonnaisnel, in un incontro che restò famoso nella storia degli scacchi ottocenteschi, lo sconfisse  determinando il suo abbandono.

 Alexander oltre che campione di scacchi e di Whist fu anche eccellente giocatore di Dama, di Tric-Trac e, nonostante la sua mutilazione, persino, di biliardo!

 Poco portato verso la teoria, non lasciò opere scritte, ma nel campo del Whist, che era una sorta di bridge senza il "morto", fu definito dalla massima autorità del tempo James Clay: "giocatore fenomenale, il più grande, senza alcun confronto, che il mondo abbia mai visto".

Nel gioco del bridge esiste un "colpo" di eccezionale effetto che porta il suo nome, secondo cui un difensore sacrifica una carta alta priva di sequenza, per tentare di creare una ripresa, nella mano del compagno oppure per " bruciare "una ripresa avversaria.

Se si pensa che nel Whist  le "mani " restavano celate, apparirà davvero fenomenale l'intuito con cui Deschapelles portò questo colpo che ancor oggi porta il suo nome.

Alexandre Deschapelles (1780-1847) was probably the strongest chess player in the world from 1800 to 1820.

He claimed to have mastered chess in three days of study.  He lost his right arm fighting the Prussians in Napoleon’s army. 

He gave up chess and took up whist when he could no longer beat his opponents at odds.  George Perigal, after interviewing him, wrote: "M. Deschapelles is the greatest chess player in France; M. Deschapelles is the greatest whist player in France; M. Deschapelles is the greatest billiards player in France; M. Deschapelles is the greatest pumpkin-grower in France; M. Deschapelles is the greatest liar in France." 

He gave up chess when he was defeated by La Bourdonnais, then became an expert at whist.

Avec l'aimable autorisation de Philippe Bodard (basée sur son travail: ''L'esprit du whist" - 2012)

    Alexandre Louis Honoré Lebreton Deschapelles (1780–1847).

    Attardons-nous assez longuement sur celui qui apparait comme le plus célèbre des joueurs de whist.

     Par commodité, Alexandre se faisait appeler « Deschapelles » tout court. Il est à noter qu’il est très difficile d’établir une biographie véridique de Deschapelles, ce qui n’a jamais vraiment été fait, et pour cause, le personnage ayant eu une vie plus que trouble (révolutionnaire, royaliste légitimiste, agent double, apprenti dictateur, indicateur de police ?) : il faudrait pouvoir faire la part entre les éléments certains, assez rares, ceux inventés ou embellis par Deschapelles lui-même, et ceux, nombreux, rapportés ou déformés par tous les racontars de son temps. L’hypothèse qui semble la plus probable est que Deschapelles fut en fait un agent double (ou trouble !), à la fois carliste et républicain ultra, cette dernière orientation politique servant peut-être de couverture.

     Cet illustre champion d’échecs, de whist, de dames, de trictrac et de billard a laissé son nom de « Deschapelles » à un célèbre et rare coup de bridge, directement issu du whist. Précisons de suite que du vivant de Deschapelles, aucun coup ne portait son nom et que le coup qu’on lui attribue était inconnu ! Le dit « coup » semble être apparu bien plus tard, vers 1889, aux Etats-Unis (!!), sans doute sur l’initiative de Pettes, un auteur américain de whist, véritable thuriféraire de Deschapelles, et qui présidait à Boston aux destinées d’un club de whist baptisé évidemment « Deschapelles Club ». Certes Pettes aurait pu à la limite recevoir des confidences de la part de John (Jean) Rheinart, un avocat français naturalisé américain. Avant de s’exiler aux Etats-Unis d’une manière définitive après 1850, celui-ci avait été en effet un élève, puis un partenaire de Deschapelles. Il aurait ainsi eu une grande facilité à noter quelques donnes jouées par le Maître et à les rapporter : mais nulle part il ne fait état que son ancien tuteur ait réalisé un tel coup.

     Un mot encore sur ce « fameux Pettes » : selon Foster, un des plus grands écrivains américains du whist, puis du bridge d’avant 1914, Pettes avait une notion très particulière de ce que devait être un expert du whist. La science de Pettes confinait à un certain esthétisme, où le nombre de levées réalisées en plus ou en moins n’avait aucune importance. Mais la manière dont les cartes étaient jouées, les informations apportées par leur chute, et l’habilité du joueur à distinguer la position d’un trois de la localisation d’un deux, représentaient la science supérieure du whist ! Et comme si cela ne suffisait pas, Pettes affirmait que le seul test possible pour prouver l’habileté d’un joueur était de soumettre une main déjà jouée à un expert pour jugement, sachant qu’il ajoutait naïvement qu’il était la seule personne vivante au monde capable de rendre un tel jugement !

     Alexandre Deschapelles est issu d’une famille aristocratique: son père, le comte Louis Gatien LeBreton des Chapelles était officier du Roi à Versailles. Alexandre avait pour parrain le roi Louis XVI en personne ! Très jeune, et de par sa naissance, Alexandre est admis à la fameuse école militaire de Brienne d’où Napoléon est sorti quelques années auparavant. Pendant la Révolution, quand l’Assemblée décide de fermer l’école à la fin de l’année 1793, il se retrouve à la rue et sans un sou, car toute sa famille a émigré, fuyant en Allemagne ou en Irlande (d’autres proches parents de la famille Deschapelles possédaient aussi de nombreuses terres en Louisiane et à Saint-Domingue, où ils ont fait souche). Compte tenu de sa formation militaire et des habitudes de l’époque, Deschapelles s’engage alors comme volontaire à seulement quatorze ans dans les armées de la République, et est dirigé d’abord sur Mayence. Puis versé dans l’armée Sambre et Meuse, il aurait participé, toujours au même âge, à la bataille de Fleurus (juin 1794) où il se serait distingué par sa bravoure et y aurait été blessé. Ce qui est absolument certain, c’est qu’à l’âge de seize ans, en 1796, à la bataille d’Ettlingen, il est laissé pour mort sur le champ de bataille : il est miraculeusement ramené à la vie, sans sa main droite, tranchée par un coup de sabre d’un dragon autrichien, et avec en plus une large balafre au travers du visage, des sourcils au menton. Tout ceci ne lui fait pas quitter l’armée pour autant : versé dans l’Administration des armées, on le retrouve par la suite participant aux grandes campagnes napoléoniennes, en Allemagne (Iéna, Eylau) comme en Espagne. Il devint enfin officier, c’est-à-dire sous-lieutenant, en décembre 1809. Il fut un des premiers titulaires de la Légion d’Honneur, le 1er juin 1804, décoration qu’il n’a pas du tout refusée, comme certains l’ont souvent écrit, mais qu’il a en général refusé de porter, par esprit républicain, quand la forme de gouvernement au pouvoir n’était pas à son goût : ainsi par exemple durant les émeutes républicaines de juin 1832, Deschapelles arborait sa médaille sur un uniforme de général, qu’il n’était pas !

     Pendant le Premier Empire, il semble que Deschapelles ait été un protégé de Fouché, avec qui il joue aux échecs. A la fin de sa carrière militaire il est commissaire des guerres adjoint, son caractère difficile l’ayant desservi pour obtenir l’avancement qu’il aurait largement mérité. En 1815, pendant les Cent-jours, il est rapporté, sans preuve formelle, que des partisans de l’Est de la France, firent de Deschapelles leur général. Il occupait alors l’emploi officiel d’entreposeur général des tabacs à Strasbourg depuis 1812, un poste enviable, acquis grâce à l’entremise de la duchesse d’Elchingen, l’épouse du maréchal Ney : ce dernier avait Deschapelles en grand estime et avait eu l’occasion de mesurer sa force aux échecs contre lui bien des fois. Lors des guerres d’Espagne, ce qui est sûr, c’est qu’en 1809 Deschapelles fut fait prisonnier à Villafranca del Bierzo : il fit partie de ces nombreux Français gardés par les Anglais sur les bateaux pontons de Cadix, aux conditions de détention si effroyables que peu survécurent à cet enfer. Deschapelles ne dut sans doute son salut qu’au fait qu’il réussit le tour de force de s’en évader en mars 1810 et de regagner la France, comme l’atteste son dossier militaire. On voit bien que le soldat Deschapelles ne manquait ni de volonté, ni de panache.

     Bien que manchot et gaucher par force, Deschapelles, d’un caractère difficile, semblait toujours prêt à s’affronter en duel si besoin était : les adversaires y réfléchissaient donc à deux fois avant de se commettre à croiser le fer avec un homme irritable qui avait la réputation d’être une des plus fines lames de l’armée et de ne jamais reculer devant rien. Ceci dit, s’il est prouvé que l’homme avait bien un mauvais caractère, nous n’avons pas de trace historique de ces combats sur le pré, en dehors du fait que son ami M. de saint-Amant affirma dans son hommage posthume (Le Palamède, 1847) que les duels ne lui manquèrent pas. Il apparaît aussi qu’en 1832 Deschapelles, alors âgé de plus de cinquante ans, voulut se battre en duel contre le ministre de l’Intérieur Camille de Montalivet, lui envoya ses témoins, mais le duel n’eut pas lieu car le ministre refusa évidemment de se prêter à ce genre d’activité !

     Vers 1815, Deschapelles fut d’abord un joueur professionnel aux échecs, un jeu dont il prétendait avoir tout appris en quatre jours seulement (!). Il abandonna cette activité au début des années 1820 quand son élève, Mahé de La Bourdonnais, le dépassa d’une manière systématique. Il se convertit alors au whist, qui lui assura son existence, plutôt très convenablement, jusqu’à la fin de ses jours. Au travers de quelques historiettes sur le whist ou sur les échecs, on pourra entrevoir ce singulier personnage, certes attachant et envoûtant, mais hautain et imbu de lui-même, sans compter son penchant à jouer des paradoxes comme seul un esprit dominateur peut se le permettre. Que l’on juge de suite !  

PAS DE LA MÊME CHAPELLE ! 

     Deschapelles avait souvent une cour de « kibbitzs » toujours prêt à écouter la parole du maître. Voici le témoignage de M. de Saint Amant, un autre champion d’échecs : « J’ai vu des parasites de sa table toujours si copieusement servie Faubourg du temple, soulever la thèse que quelques jours avant il [Deschapelles] avait traitée, abonder dans l’opinion qu’il avait exprimée, et se faire rudement reprendre par lui, comme énonçant des opinions absurdes, insoutenables ! »

     Lorsque M. Deschapelles disait « que les grands joueurs d’échecs ne pouvaient venir que du Midi, de là où le soleil échauffait les imaginations ». La Bourdonnais marmottait timidement que Philidor était de Dreux, et que lui était né à Saint-Malo. — Pures exceptions ! ajoutait alors M. Deschapelles sur un ton qui coupait court à tous propos contradictoires. Mais, lorsque La Bourdonnais racontait ces paroles sentencieuses loin de son illustre maître, il ne manquait jamais d’ajouter, au milieu des éclats du rire homérique de ses bons jours, que « parce que M. Deschapelles était né à Versailles, il se croyait du Midi ! ».

    Un étranger arriva un jour à la Régence, et s’informa du maître de l’établissement, Masson, si M. Deschapelles consentirait à faire une partie avec lui. — Je vais lui demander, répondit l’officieux limonadier. — Quel est son jeu ? demanda Deschapelles. Retour vers le solliciteur : — Ah! Dites-lui que ma religion me défend de jouer de l’argent. La mienne me défend d’être absurde, répondit brusquement Deschapelles. La partie n’eut pas lieu, comme on le doit penser. 

DESCHAPELLES, AUTEUR, JUGE ET ARBITRE 

     En 1832, Deschapelles, fervent républicain qui se serait bien vu en dictateur ou en consul, fut un des meneurs, dans l’ombre, de l’insurrection des 5 et 6 juin contre le roi Louis-Philippe : en conséquence, il fut arrêté et incarcéré. A cette occasion, il est dit qu’on trouva chez lui des documents attestant qu’il poussait à la révolution et une liste de personnes bien ou mal disposée à cet égard fut saisie. Deschapelles y avait inscrit le nom de Vatry, avec l’annotation suivante : « A guillotiner, raison : citoyen inutile ». Un citoyen inutile et pourquoi ? Eh bien, parce que c’était un joueur de whist notoirement… exécrable ! Selon le comte d’Alton Shée, la liste ne se limitait pas à notre fortuné Bourdon, mais comprenait tous les richards du club de l’Union, le plus mondain et le plus fermé des cercles : les banquiers Pourtalès, Galliera, Greffulhe, etc., tous destinés à aller voir de près la lunette de Sanson.

     Deschapelles était le président de la « société » républicaine et secrète « La Gauloise », très active pendant l’insurrection des 5 et 6 juin 1832, si bien mis en scène par Victor Hugo dans les Misérables (mort de Gavroche). On peut cependant raisonnablement se demander si Deschapelles n’était pas à cette époque avant tout un comploteur au service de la branche aînée des Bourbons contre la branche cadette orléaniste de Louis-Philippe. Le préfet de police Gisquet affirme dans ses Mémoires que Deschapelles fit plusieurs fois la partie de whist de Charles X, un comble s’il avait été uniquement un républicain ultra. De plus, Deschapelles émargeait en 1828 à la liste civile du Roi, pour une pension de 400 francs, en tant que filleul de Louis XVI (d’où son second prénom de Louis). Enfin, deux de ses plus proches parents, son beau-frère, le comte O’Héguerty, mari de sa sœur Caroline, et leur fils, faisaient partie des familiers de Charles X, complétant si nécessaire la table du whist royal. En résumé, les démarches politiques de Deschapelles étaient tout, sauf claires.

     En 1839, Deschapelles accepte la publication de son Traité du Whiste, qui en fait ne regroupe que deux des quinze chapitres de ce qu’il s’était promis d’écrire.

     Le style de Deschapelles n’est pas commun, car outre de nombreuses digressions, notre whisteur aime à s’exprimer par parabole et aussi avec humour. Voici un aperçu de son écriture, un passage concernant la distribution des cartes.

     « Sitôt que la distribution des cartes est terminée, chacun entre en possession du jeu qui lui est dévolu. Ici comme dans toutes les acquisitions, il semble que l’on doit commencer par en prendre connaissance ; on réunira donc ses couleurs ou au moins on les rangera de la manière à laquelle on est habitué ; l’essentiel est de les bien caser dans l’esprit. On voit des joueurs qui conservent dans la main leurs jeux tels qu’ils l’ont levé ; et si ce mode ne leur occasionne jamais d’erreur, nous le reconnaissons pour le meilleur. On en voit d’autres qui assemblent hardiment leurs couleurs, sans s’occuper s’ils ont des témoins, s’ils ont des ennemis qui peuvent apprendre une partie de ce qu’on doit leur laisser ignorer. Il y en a d’autres qui vont bien plus loin ; avec un grand sang-froid, avec une candeur unique, ils envoient chaque couleur à une place, ou invariable, ou harmonisée avec un système dont la clé est facile à trouver. Là ils classent par rang de taille, retournent d’abord les figures ; apparemment pour que le sang ne leur tombe pas dans la tête.

    Ensuite, poussant leur idée à bout, ils retournent aussi les piques, les cœurs et les trèfles, apparemment aussi de peur d’émousser les pointes qui regarderaient en bas, sans s’être aperçus qu’on les regardait, que les autres avaient depuis longtemps fini leur besogne, que la table était déjà couverte de cartes jouées. Ils arrivent enfin pour dire avec un calme imperturbable : « Messieurs, placez les cartes » Ainsi, engloutis dans une opération puérile, dans une sorte de monomanie, ils entrent dans l’action, non seulement dépourvus de notions préliminaires, mais avec l’énorme désavantage d’avoir pour ainsi dire étalé leur jeu…»

     Toujours sur la façon de donner, Deschapelles nous confie aussi : «  Dans ma jeunesse on jouait le boston, déjà un peu le whiste ; cette singularité de distribuer cinquante-deux cartes une à une avait frappé les nombreux adorateurs de la forme et de l’élégance; c’était à qui y mettrait le plus de grâce ; chacun avait étudié, adopté une manière distincte, quelques noms en sont restés : on donnait en jet d’eau, on donnait au fromage à la crème, on donnait à l’écrevisse ; les cartes semblaient voltiger, c’était un cliquetis, c’était charmant ». Précisons que donner en jet d’eau, c’est lancer les cartes avec un mouvement du bas vers le haut, donner « au fromage à la crème » suggère le mouvement inverse, de haut en bas. Quant à donner « à l’écrevisse », il s’agit de d’abord donner dans un sens, puis dans l’autre, au lieu de continuer à donner dans le sens des aiguilles d’une montre.

     En 1842, sur la requête de son ami, M. de Saint-Amant, Deschapelles accepte de livrer à la revue Le Palamède un autre chapitre inédit de son traité. Pour comprendre le caractère arrogant et très particulier du personnage, il suffit de se reporter à la lettre qui accompagnait cette partie de son manuscrit : « Je vous envoie un morceau de mon ouvrage sur le whiste, que j’ai tiré de la partie inédite. J’ai fait, pour vous êtes agréable, le plus grand sacrifice que peut faire un paresseux : j’ai travaillé pendant huit jours. Il faut bien que vous l’ayez exigé et que vous en soyez reconnaissant ; autrement je vous aurais traité comme le public, qui aurait intérêt à savoir ce qu’il me reste à lui dire, et qui ne le saura pas, parce qu’il ne m’a pas semblé assez obséquieux pour me faire sortir de ma froideur naturelle. » 

LEBRETON ET LES ANGLAIS 

     John (Jean) Brunton, le riche copropriétaire franco-anglais de la « Compagnie du Gaz » à Paris, auteur d’un célèbre ouvrage, Les quarante préceptes du jeu de whist, avait fréquenté dans sa jeunesse LeBreton Deschapelles à la table de whist, vers 1838. Avant de jouer sa partie à fort tarif, notre champion faisait souvent quelques robres avec des disciples, pour deux fois rien, donnant des conseils si on le lui demandait.

     Un jour Brunton s’enquit de savoir si le maître trouvait tous les jours des joueurs dignes de lui : « Ah ! répondit Deschapelles, il m’arrive souvent d’avoir affaire à deux adversaires, plus un ennemi ». Il désignait ainsi évidemment son partenaire du moment. Ceci dit, Deschapelles, malgré les aléas du jeu ou les fautes du partenaire, savait, comme Talleyrand, conserver en toute circonstance un calme extrême.

     Deschapelles était si connu pour être le plus fort des joueurs de whist de son époque que, par exemple le 10 mars 1830, lors de la visite à Paris de Lord Charles Greville, ministre du Conseil Privé du roi d’Angleterre et grand amateur de whist, le comte Casimir de Montrond, déjà cité, organisa un dîner spécial dans un club, sans doute à l’Union, dit aussi « aux Cinq-Cents[14] » ou « L’Ancien Cercle », pour que notre hôte anglais puisse voir jouer le « Maître ». C’était sans doute aussi une manière de dire aux Anglais : « Voyez, même au whist, nous vous dépassons ». En tout cas, Lord Greville parut ne pas être dupe, car il écrit dans ses mémoires : « Je ne suis pas plus avancé. Je conclus : il joue très bien, car il gagne toujours, il n’est pas suspecté de tricher, et il excelle à tous les autres jeux. »

     Abraham Hayward, un écrivain et journaliste anglais, raconte quant à lui que Deschapelles voulant s’amuser aux dépens de certains joueurs, retira un jour les quatre rois de deux jeux de cartes. Comme au whist on fait les impasses à l’aveugle (il n’y a pas de mort dans le whist de base), nos quatre joueurs jouèrent deux heures d’affilée avant de se rendre compte, suite à une sévère prise de bec, de l’absence des figures royales. Surprenant, mais pas si impossible à une époque où les joueurs faibles ou moyens ne comptaient jamais leurs cartes et étaient incapables de reconstituer une main adverse, ou bien d’analyser une donne. En tout cas, même si Deschapelles n’est dans cette histoire qu’un faire-valoir, il a bien du se trouver un jour un petit malin pour monter une telle plaisanterie.

     Deschapelles était tellement un esprit dominateur, et suscitait tant de jalousies que George Perigal, secrétaire du grand club d’échecs, « London Chess Club », n’hésita pas à publier dans une brochure en Angleterre:      Deschapelles est le plus grand joueur d’échecs de France, Deschapelles est le plus grand joueur de whist de France, Deschapelles est le plus grand joueur de billard de France, Deschapelles est le plus grand producteur de melons de France, Deschapelles est le plus grand des menteurs !

     Deschapelles fut en effet aussi connu pour l’excellence des nombreuses variétés de melon qu’il cultivait dans sa propriété parisienne de la rue du Faubourg du temple, où il donnait chaque semaine des dîners gargantuesques, qui attirait chez lui tout ce que Paris comptait de républicains. Il est dit du reste que ses melons avaient l’honneur d’être de la table du roi Louis-Philippe. Et par ailleurs, il cultivait aussi en serre des ananas, des orchidées et pratiquait dans son vaste jardin parisien l’élevage de faisans !

 UN MORT ANODIN

      S’il était difficile dans la vie, Deschapelles entendait ne pas l’être dans la mort : dans son testament, il exigea d’être enterré dans la fosse commune, et sans que l’on donne aucune publicité à son décès. Il n’obtint que partiellement satisfaction, car sa compagne fit transférer ses restes trois ans après sa mort dans une concession qu’elle avait achetée au cimetière du Père-Lachaise[15]. Si cette mort quasi-anonyme ne fut rapportée en France que par un article du journal La Presse le 5 novembre 1847 et par deux lignes le lendemain dans Le Siècle, il en fut autrement à l’étranger : ainsi par exemple, à …Buffalo, NY, USA, le 22 janvier 1848, le quotidien The Western Literary Messenger, écrivait que « le cercle du boulevard Montmartre où Deschapelles faisait d’ordinaire sa partie, aurait du adopté un deuil de trois mois en jouant au whist avec des cartes bordées d’un liseré noir ! » Déjà de son vivant, la notoriété de Deschapelles était donc universellement connue.

     Avant lui, le meilleur joueur du monde aux échecs fut aussi un Français, François-André Danican Philidor, très connu également comme compositeur. A son propos, il existe un bon mot dont je m’étonne que personne ne semble avoir repris à son compte pour le jeu de bridge (du moins dans la littérature bridgesque). Philidor rentrait un soir chez lui au moment où deux de ses enfants de quatorze et seize ans essayaient leur force aux échecs. Il jeta un coup d’œil sur leur partie et la suivit pendant deux ou trois coups.

     — Nos enfants, ma chère amie, dit-il à sa femme, sont parvenus à faire de ce jeu-là un jeu de hasard !

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